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Au Maroc, les cultivateurs de chanvre placent leurs espoirs dans le cannabis thérapeutique

Alors que les revenus agricoles liés au haschich ont drastiquement chuté ces dernières années, une loi encadrant son usage industriel et médical pourrait changer la donne.

Le Monde avec AFP

Publié le 05 octobre 2022 à 10h12, modifié le 05 octobre 2022 à 14h09

Temps de Lecture 3 min.

Un cultivateur de cannabis dans son champ à Azila, au Maroc, le 16 septembre 2022.

Au pied du mont Tidghine, plus haut sommet du massif du Rif, dans le nord du Maroc, le village d’Azila est couvert de plantations de cannabis, prêt à être récolté. Mais les temps sont durs pour les cultivateurs locaux, dont l’activité, tolérée bien qu’officiellement interdite, pâtit de la concurrence du chanvre produit en Europe et de « lenteurs » dans la mise en œuvre d’une loi adoptée en 2021 légalisant le cannabis thérapeutique.

« On reste attachés à cette plante et pourtant elle ne nous rapporte plus rien. Plus personne n’en veut ! », se désole Souad*, cultivatrice de chanvre à Azila, dans la commune de Ketama. « On est loin des années fastueuses. On vivote dans des conditions difficiles », confie à l’AFP cette veuve sexagénaire qui continue d’aider ses fils à défricher le lopin de terre familial. Pour s’extirper de la précarité, elle espère beaucoup de la légalisation du cannabis thérapeutique.

Le Maroc, premier producteur mondial de haschich selon l’ONU, s’efforce de resserrer l’étau autour du juteux trafic de cannabis en misant sur la loi adoptée en 2021, qui encadre ses usages industriel et médical. Ce complexe chantier n’en est qu’à ses prémices mais, à terme, l’objectif est de couper l’herbe sous le pied des trafiquants et de se positionner sur le marché mondial du cannabis légal. Le gouvernement souhaite également désenclaver économiquement la région déshéritée du Rif, où le chanvre est cultivé depuis des siècles.

« Il ne nous reste plus que la prison »

Les revenus agricoles annuels du cannabis sont passés d’environ 500 millions d’euros au début des années 2000 à moins de 325 millions d’euros en 2020, d’après une étude du ministère de l’intérieur publiée en mai 2021. « Le marché a drastiquement chuté. Il ne nous reste plus que la prison », ironise Karim*, qui n’a pu faire fructifier cette année qu’une partie du terrain familial à Azila, « faute de suffisamment de demande et d’eau », à cause d’une sécheresse historique. « L’agriculteur a toujours été le maillon faible de la chaîne, c’est nous qui payons les pots cassés, mais la légalisation peut être une issue », estime ce paysan de 44 ans au visage émacié.

Outre le risque de terminer en prison, les cultivateurs ne reçoivent que « 4 % du chiffre d’affaires du circuit illégal », contre potentiellement « 12 % sur le marché légal », selon des estimations officielles relayées par l’agence MAP en 2021. Souad voit aussi dans le cannabis licite une planche de salut. « Si c’est sérieux, c’est une bonne chose », lâche-t-elle. A Azila comme dans d’autres douars rifains, l’effet de la nouvelle législation n’est pas encore perceptible. « A l’heure actuelle, rien n’a changé pour nous. On est toujours considérés comme des malfrats, des criminels, alors que nous ne sommes que des agriculteurs », déplore Nourredine*, un autre cultivateur.

Les autorités se veulent rassurantes. « Il peut y avoir de l’appréhension, mais la légalisation va la dissiper car elle va bénéficier aux cultivateurs », assure une source officielle à Rabat, sous couvert d’anonymat.

« Il y a des étapes à respecter »

Pour la mise en œuvre du projet, « il est important de ne pas se précipiter », arguent néanmoins les autorités : « Il y a des étapes à respecter. » Dans un premier temps, une dizaine d’autorisations seront délivrées à des industriels marocains et internationaux pour la transformation du cannabis à des fins thérapeutiques, précise la source officielle. Lancée en juin, l’Agence de régulation du cannabis (Anrac), chargée de contrôler toute la chaîne, de la production jusqu’à la commercialisation des dérivés du chanvre, étudie les premières candidatures d’industriels intéressés.

Ensuite, c’est à partir des besoins formulés par ces derniers que les cultivateurs pourront se manifester auprès de l’Anrac et se constituer en coopératives. La loi de 2021 prévoit que « l’autorisation de la culture de cannabis n’est octroyée que dans la limite des quantités nécessaires pour répondre aux besoins des activités de fabrication de produits à des fins médicale, pharmaceutique et thérapeutique ». Ainsi, seuls les habitants des provinces rifaines d’Al Hoceima, Chefchaouen et Taounate seront autorisés à faire pousser du chanvre. En 2019, les cultures de kif couvraient 55 000 hectares dans le nord-est du royaume, y faisant vivre entre 80 000 et 120 000 familles, selon des chiffres officiels.

Les militants associatifs locaux se mobilisent pour expliquer aux cultivateurs les aspects techniques du projet. « Le travail de médiation est compliqué pour des raisons procédurales. Mais si la démarche des autorités est inclusive, alors de belles choses peuvent être réalisées », explique à l’AFP Soufiane Zahlaf, représentant des villageois d’Azila, d’où il est originaire.

*Les prénoms ont été changés.

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