Des associations et, désormais, de plus en plus de partis politiques marocains convergent vers un même objectif: changer la nature du kif dans le Rif. Berceau mondial de la culture du cannabis, cette région montagneuse du nord du Maroc, bordée sur son flanc est par la frontière algérienne et réputée pour ses plantations de résine de cannabis, inonde l'Europe de ce stupéfiant à la source d'un juteux trafic. Le 8 septembre, la marine française avec le concours de son homologue algérienne, a opéré une nouvelle saisie record, 20 tonnes de cannabis, à bord du bateau Luna-S, en provenance du Maroc, battant pavillon tanzanien et avec un équipage de huit hommes se déclarant syriens. Changement de cap : une proposition de loi, en cours de rédaction, pourrait être débattue au Parlement de Rabat pour légaliser la culture du cannabis à des fins médicales et industrielles.
Lorsqu'il commence à faire campagne sur ce thème en 2008, Chakib Al-Khayari, un militant associatif d'Al-Hoceima, ne suscite, au mieux, que du scepticisme. Pire : il est condamné en 2009 à trois ans de prison ferme et à une lourde amende de 68 000 euros à verser aux douanes pour "atteinte aux corps constitués" après avoir, dans un reportage à la télévision française, évoqué l'implication de responsables "au sein des institutions de l'Etat" marocain dans le démantèlement d'un gros réseau de drogue. A l'époque, Human Rights Watch prend sa défense et dénonce un "procès politique". Mais il faudra attendre que le souffle du "printemps arabe" atteigne le Maroc pour que, en 2011, le roi Mohammed VI le gracie. Chakib Al-Khayari, 34 ans, à la tête d'un collectif pour l'usage thérapeutique et industriel du kif et président de l'Association du Rif des droits de l'homme (ARDH), reprend alors son lent travail de lobbying.
PRÈS D'UN MILLION D'AGRICULTEURS
En mai, sur la base d'un volumineux document rédigé en 2012 intitulé "Appel pour l'instauration d'une politique juste et efficiente concernant la culture du kif et son usage", le collectif a envoyé la copie d'une proposition de loi destinée à préserver une culture qui ferait vivre près d'un million d'agriculteurs et leurs familles dans l'une des régions les plus pauvres du pays. Avec, cette fois, nettement plus de succès. Alors que les études sur son usage thérapeutique se multiplient dans le monde et qu'un premier médicament à base de cannabis pourrait être commercialisé en France en 2014 ou 2015, Chakib Al-Khayari sent le vent tourner. "Je suis en contact avec le PAM [Parti authenticité et modernité, proche du Palais] et même le PJD [Parti justice et développement, islamiste, qui domine le gouvernement], qui s'est dit lui aussi intéressé, s'enthousiasme le militant. Cela n'avait jamais été discuté sous cet angle au Maroc, c'est tout à fait nouveau." "Nous étudions cela de près et nous déposerons une proposition de loi sur le sujet à usage exclusivement médical", confirme Mehdi Bensaïd, député du PAM, qui voit dans cette transformation de la culture du cannabis l'opportunité de développer "une nouvelle niche fiscale". L'Istiqlal (parti de l'indépendance) et l'USFP (socialiste) ont aussi fait part de leur intérêt pour le projet.
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